04/02/2006

La liberté d'expression

Aujourd'hui on condamne des bloggers pour diffusion d'information (= difflamation ? ), mais jusqu'où ca peut aller tout ça ?


Petit rappel (nécessaire) :

Les origines de la liberté d'expression sont à trouver dans le monde occidental. Il s'agit d'une tradition laïque, républicaine et démocratique, qui a commencé à émerger vers la fin du 18ème siècle. Auparavant, une telle liberté était réservée aux autorités royales, seigneuriales ou religieuses.

En 1789, la liberté d'expression a été inscrite dans deux constitutions, une de chaque côté de l'Atlantique. Les Etats-Unis venaient de gagner leur liberté sur la couronne britannique et d'adopter leur propre constitution en 1776. Celle-ci a été amendée pour la première fois en 1789, et c'est ce First amendment qui garantit aux citoyens leur liberté d'expression :

« Congress shall make no law...abridging the freedom of speech or of the press”

Ainsi, il ne s'agit pas seulement de la liberté de chacun d'exprimer sa pensée, ses idées, ses croyances, mais aussi du droit de la presse d'informer et de distribuer de telles pensées sans restrictions de la part des autorités.

en France, la liberté d'expression est probablement davantage associée à la Révolution française. En 1789, le peuple français a été libéré de la tutelle de la monarchie absolue, et ses représentants dans l'Assemblée nationale considéraient tout le monde, hommes et femmes, comme des égaux, ayant les mêmes droits fondamentaux.

l'Assemblée nationale a voté la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le 26 août 1789. Désormais, tout acte des autorités devait respecter les règles simples mais fondamentales inscrites dans cette Déclaration, qui avait pour but d'éviter l'abus du pouvoir. Après avoir garanti la liberté de pensée et de croyance dans l'article, la Déclaration constate la liberté d'expression dans son article 11 :

« tout citoyen peut...parler, écrire, imprimer librement »

L'Onu a été fondée en 1948 et la même année elle a voté la Déclaration universelle des droits de l'homme, dans laquelle la liberté d'expression est assurée, dans article 19 :

« Tout individu a droit à la liberté d'expression...sans considérations de frontières »

La Convention européenne des droits de l'homme défend clairement la liberté d'expression dans son article 10 ;

« Toute personne a droit à la liberté d'expression...sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publique et sans considération de frontières »

A travers l'histoire, les droits fondamentaux, et en particulier la liberté d'expression, ont été confirmés comme des principes universels. Cependant, nous verrons constamment ces droits et ces libertés circonscrits par la régulation, la menace et la violence. La liberté ne peut être assurée qu'à travers une lutte constante.

La spécificité de l'internet et les possibilités qui s'ouvrent

Nous pouvons nous interroger sur le rôle que l'internet peut jouer dans cette lutte constante. Qu'est-ce qu'il apporte de nouveau, et comment peut-il servir la cause de la liberté d'expression? Après le monopole de la parole, l'écriture et ensuite l'imprimerie ont constitué des révolutions pour le transfert d'idées et d'informations. Dans le siècle passé, on a vu apparaître les techniques audiovisuelles et enfin le numérique et l'informatique? L'internet constitue la dernière véritable révolution quant aux techniques de transmission d'informations et d'idées.

Or, internet peut être considéré comme une possibilité inédite quant à la liberté d'expression, sur lequel on peut communiquer librement et instantanément d'un bout du monde à l'autre. Les sites publiés sur le réseau ne sont pas destinés à quelqu'un en particulier et l'accès est en principe ouvert à tout le monde, sans considération de proximité, de nationalité ou de lieu de résidence. Dans des groupes de discussion, on peut exprimer sa pensée sans censure préalable.

Selon la Cour Suprême des Etats-Unis, il s'agit d'une "conversation mondiale sans fin".Toutefois, si les autorités y participent, elles ne sont pas capables de contrôler cette dynamique, qui échappe pour l'instant à leurs mécanismes de contrôle trop basés sur les frontières territoriales des Etats.

Est-on donc enfin passé à une véritable liberté d'expression universelle, un demi-siècle après la déclaration faite à l'Onu? Au moins, s'agit-il d'un moyen formidable pour exercer ce droit et pour défier les autorités qui essaient de réguler les flux d'information et de communication. Dans des sociétés illibérales, internet peut donner accès à des informations "interdites" et donner la possibilité d'exprimer ses soucis au monde extérieur, même si cette possibilité peut être circonscrite.

Internet constitue donc un progrès immense et une opportunité inédite quant à la liberté d'expression et la défense de cette liberté. Cependant, il faut voir quelles limites on peut donner à ce droit.

Quelles limites quant à la liberté d'expression?

La liberté d'expression est un droit fondamental, mais s'agit-il d'un droit absolu? En fait, cette discussion remonte au débat dans l'Assemblée nationale sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, lors de la Révolution française. A l'époque, deux camps s'opposaient. D'une part, celui qui voulait que la liberté d'expression soit limitée et définie par la loi, représenté par Sieyès. D'autre part, celui qui estimait que cette liberté devait être indéfinie et illimitée, représenté par Robespierre et Marat, qui disait:

"La liberté de tout dire n'a d'ennemis que ceux qui veulent se réserver la liberté de tout faire. Quand il est permis de tout dire, la vérité parle d'elle-même et son triomphe est assuré."
- Henri LeClerc, "La liberté d'expression et Internet, Petites Affiches, no.24, 10 nov. 1999

C'est pourtant le premier camp qui l'emporté, car si l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen garantit la liberté de parler, d'écrire et d'imprimer librement, elle en définit aussi les limites:

"sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi."



Il s'agit de l'idée que la liberté de chacun doit s'arrêter là où commence celle des autres. La liberté de tout dire et dans n'importe quelle situation pourrait restreindre la liberté d'autrui, en lui infligeant des dommages directs ou indirects. Ce principe a été respecté par la suite, notamment au 20ème siècle et d'abord dans la Convention européenne des droits de l'homme, dont l'article 10§2 précise que:

"L'exercise de ces libertés…peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi…"

Quant à l'Onu, la Déclaration universelle des droits de l'homme n'en fait par référence, mais le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 le fait dans l'article 19§3:

"L'exercise des libertés…peut…être soumis à certaines restrictions…expressément fixées par la loi."

L'idée est que la liberté d'expression est contrecarrée par certains devoirs et responsabilités par rapport aux autres. Parce que les gens ne sont pas capables de mener une autogestion de ceux-ci, une gestion judiciaire est nécessaire. Nous pouvons diviser les exceptions au principe de la liberté d'expression en deux groupes.

1) La protection des personnes, des groupes et des valeurs
* Le libellé et la diffamation, la réputation
* La pornographie, surtout enfantine
*La propagande haineuse

2) La protection de l'Etat
*La sécurité publique
* La sécurité politique
* La sécurité nationale

Vu le caractère transfrontalier et global d'internet, les autorités nationales ont du mal à assurer le respect de tels principes. Elles essaient tout de même de façons différentes de réguler le contenu sur le réseau.

http://barthes.ens.fr/scpo/Presentations99-00/Bjorstad/